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12/12/2017

Mon dernier rêve sera pour vous

Jean d'Ormesson s'en est allé et l'on se souvient d'un de ses ouvrages datant de janvier 2003 où il avait tout dit. Sorte de manuel de sagesse, il nous faisait déjà regretter la disparition du dernier des honnêtes hommes médiatiquement connus.

C'était bien nous confiait Jean d'Ormesson dans ce livre paru chez Gallimard. «La fête tire déjà vers sa fin. J'en ressens du regret et une sorte de soulagement. C'était bien, vraiment bien - et ça va bien comme ça». A la manière d'un Ce que je crois, il nous parlait de tout et de rien, de Presque rien sur presque tout. Du monde qu'il saluait et remerciait. De lui.

Il nous parlait en fin de compte de ce qu'il connaissait le mieux avec cette jubilation si communicative. Il aima, comme Gaston Gallimard, «Les bains de mer, les femmes, les livres»..., «et dans l'ordre». Mais plus que la littérature qu'il plaçait au-dessus de toutes les créations humaines, il aima la vie. De cette vie - Tous les hommes en sont fous -, il en retenait les beautés, il n'en oubliait pas les drames.

«Une fête en larmes», voilà la vie. Et voilà pour sa vocation tardive : «Je crois que les écrivains écrivent parce qu'ils éprouvent du chagrin», parce qu'aussi «la vie ne suffit pas». Que restait-il de l'enfant qu'il fut : «curieux de tout, plutôt vif, un peu par en dessous, allergique et rêveur» ? Il restait le même enfant aux yeux bleus, l'allergie en moins peut-être, qui nous disait après saint Augustin : «Aime et fais ce que tu veux».

Est-il allé à la vérité de toute son âme comme le préconisait Alain ? Sans doute. Sinon aurait-il rencontré le succès ? Mais «Le seul prix du succès est dans le refus de l'échec». L'essentiel, ce sont «les sentiments, les passions, les idées vagabondes, l'imagination créatrice, la liberté des mots (...). Il n'est pas tout à fait exclu que l'inutile soit plus nécessaire que l'utile. Au bonheur, en tout cas».

Il a écrit ses mots, il a «inventé avec ses souvenirs», il nous a émus et enchantés. Et nous voulons bien lui pardonner puisqu'il se repentait de ses insuffisances. Et saluer avec lui sa performance : «Je voulais être heureux. Je l'ai été. Bravo», et sa lucidité : «II y a dans ce bravo toute la tristesse du monde». «Oui : une fête en larmes» qui s'achevait, pensait-il alors. Mais ajoutait-il, si «La fin est à mes trousses (...). Il faut l'aimer, elle aussi».

Au plaisir de Dieu. Le Vent du soir se lèvera pour nous tous mais en attendant Voyez comme on danse. Et au coauteur de Tant que vous penserez à moi, à l'écrivain qui nous disait merci et adieu, chacun de ses lecteurs pourrait répondre : "Au revoir et merci. A bientôt à mon chevet. Mon dernier rêve sera pour vous". Car il aura su mieux que quiconque prendre le bonheur qui passait, et bien nous le rendre.

En italique et sans guillemets « … » : quelques ouvrages de Jean d'Ormesson.

 

23/05/2014

Liaisons dangereuses

Ah ! L'actualité. Cette actualité médiatique qui nous met le nez sur l'écume des jours. Paul Valéry écrivait dans Regards sur le monde actuel chez Folio essais : «Les événements ne sont que l’écume des choses, ce qui m'intéresse, c'est la mer». Et André Gide affirmait : «Pour bien décrire quelque chose, il ne faut pas avoir le nez dessus». Au lieu de ça, le nez dans le guidon, nous sommes condamnés à ne pas voir plus loin que le bout de notre nez.

Mais cela n'en arrangerait-il pas plus d'un, voire cela ne serait-il pas recherché ? François Bayrou dans son discours de clôture de l'Université d'été des jeunes UDF du 2 septembre 2006 à La Grande Motte, s'en prenait aux «détenteurs de ces immenses puissances, de ces forces de frappe industrielles et médiatiques qui jouent un si grand rôle dans la formation de l'opinion», et au «lien d'intimité et d'intérêt entre ces puissances et le pouvoir, actuel ou futur».

Déjà fin 2001 dans Relève chez Grasset, il vilipendait «la culture de cour», «la fréquentation des influents», «les carrières (...) par la faveur», «les ambitions (…), cherchant la faveur du prince, ou la faveur des favoris, et même celle des favoris des favoris». Et Philippe Meyer en 2002 avec son Démolition avant travaux chez Robert Laffont poursuivait la même réflexion, qu'on pourrait d'ailleurs élargir à d'autres que Bouygues, Dassault ou Lagardère. Exemples : Arnault, Bolloré, Lucas (Crédit Mutuel), Niel, Pinault, Rothschild...

«L'état de dépendance de ces compagnies à l'égard des pouvoirs publics conduit (...) à des censures, à des autocensures et à des complaisances (...). Il constitue aussi l'une des explications du trop d'intérêt que les médias accordent aux hommes politiques et à leurs partis, du trop d'espace qu'ils réservent aux appareils d'État et à leurs dirigeants et du peu de place et de travail qu'ils consacrent à observer la société et à chercher à la comprendre.

«La presse française d'information générale, écrite ou électronique, continuait Philippe Meyer, est un mélange d'informations sur et pour le microcosme et de séquences divertissantes ou futiles. Les secondes amusent la galerie et les premières fortifient continûment le caractère incestueux des relations entre les pouvoirs politique, financier, culturel et le prétendu quatrième pouvoir, qui a renoncé à être autre chose que le partenaire des trois autres».

Et il concluait que ce système verrouillé est incompatible «avec ce que la démocratie suppose de fluidité, d'égalité d'accès aux moyens d'agir, d'apprendre, de dire, de savoir, de débattre». Et puis, "Porter à la connaissance du public" n'a rien à voir avec "exercer une action sur le public". Lord Northcliffe, patron de presse, disait en 1903 : «Quelque part, quelqu'un cache quelque chose. Là se situe l'information, tout le reste n'est que de la publicité».

20/05/2014

La loi du nombre

«Y’a trois choses importantes dans l'histoire : premièrement le nombre, deuxièmement le nombre et troisièmement le nombre (...)» dit le personnage principal, professeur d'histoire, au début du film de Denys Arcand Le déclin de l'empire américain. «Ça veut dire (...) que l'histoire n'est pas une science morale. Le bon droit, la compassion, la justice... sont des notions étrangères à l'histoire.» Flaubert parlait de «droit du nombre».

Le nombre. Voilà bien un des problèmes principaux des Occidentaux, bientôt «cernés au milieu de sept milliards d'hommes» comme l'écrivait en 1985 Jean Raspail dans la préface à la troisième édition de son livre Le Camp des Saints chez Robert Laffont. Un problème d'autant plus aigu que selon le romancier, «(...) l'Occident est vide (...), l'Occident n'a plus d'âme (...)», alors que «c'est toujours l'âme qui gagne les combats décisifs».

«II me vient souvent l'impression, ajoutait-il, (...) que bien des Français "de souche", aujourd'hui, ne sont plus que des bernard-l'ermite qui vivent dans des coquilles abandonnées par les représentants d'une espèce à présent disparue (...). Ils se contentent de durer. Ils assurent machinalement leur survie à la petite semaine et de plus en plus mollement.» Invertébrés jouissant «d'une richesse héritée et de moins en moins méritée».

«Sous les bannières d'une solidarité interne et "sécurisante" illusoire, ils ne sont plus solidaires de rien, ni même conscients de rien de ce qui constitue l'essentiel fond commun d'un peuple» poursuivait Raspail. Ils font grand cas de leur petite personne, ne se sentent plus "liés par une responsabilité commune, des intérêts communs", ni même par "l'obligation morale de ne pas desservir les autres" ou de "s'accorder une aide mutuelle".

«Sur le plan pratique et matérialiste qui seul peut encore allumer une lueur d'intérêt dans leur regard envieux, ils forment une nation de tout petits bourgeois qui s'est payée et se paye encore en pleine crise (...), des millions de domestiques : les immigrés. Ah ! comme ils vont trembler ! Les domestiques ont d'innombrables familles en deçà et au-delà des mers, une seule et famélique famille qui peuple toute la terre» prévenait Raspail.

«Mais le tout petit bourgeois sourd et aveugle reste bouffon sans le savoir. Encore miraculeusement à l'aise dans ses grasses prairies d'Occident, il crie en louchant sur son plus proche voisin : "Faites payer les riches !" Le sait-il seulement, mais enfin le sait-il ! que le riche c'est précisément lui, et que ce cri de justice, ce cri de toutes les révoltes, hurlé par des milliards de voix, c'est contre lui et contre lui seul que bientôt il s'élèvera.»